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Récifs coralliens

Comment l’ADN environnemental est-il utilisé pour suivre la biodiversité de poissons récifaux ?

Comment l’ADN environnemental est-il utilisé pour suivre la biodiversité de poissons récifaux ?
Publié par Leïla Ezzat | Publié le 22 June 2022

Les poissons récifaux : une biodiversité exceptionnelle

 

Les récifs coralliens sont souvent considérés comme les forêts tropicales des mers en raison de leur richesse et de leur diversité de vie stupéfiantes. Cependant, qui aurait pu deviner que les écosystèmes récifaux, qui couvrent moins de 1 % des fonds marins, abritent la plus grande diversité de poissons au monde [1] ? Les poissons récifaux, acteurs clés des écosystèmes coralliens, déplacent et recyclent des quantités considérables de nutriments que les coraux et autres organismes des communautés benthiques (c’est-à-dire qui vivent dans les fonds marins) utilisent ensuite pour leur propre croissance [2]. De par leurs habitudes alimentaires, certains poissons de récifs contribuent à la santé des écosystèmes en régulant la biomasse des macroalgues, qui entrent en compétition avec les coraux pour les nutriments, la lumière et l’espace [3]. Des études récentes ont souligné l’énorme contribution des familles de poissons se nourrissant de plancton (planktivore) à la diversité exceptionnelle mesurée dans le Triangle de Corail, dû à des processus géomorphologiques et géologiques [4]. 

 

Comment mesurer cette biodiversité exceptionnelle ?

 

Bien que les poissons récifaux remplissent d’importantes fonctions écologiques sur les récifs coralliens, nos connaissances sur leur diversité biologique et leur distribution spatiale restent incomplètes. Par exemple, un certain nombre d’espèces de poissons résidant dans les colonies coralliennes (crypto-benthiques, c’est-à-dire qui vivent sur le substrat corallien et se camouflent dans celui-ci) sont extrêmement difficiles à capturer et à étudier – et cela sans nuire directement aux colonies de coraux. Ces espèces de poissons représentent pourtant plus de la moitié de la diversité des poissons des récifs coralliens [5].

Au cours des dernières décennies, les progrès récents en biologie moléculaire et des techniques de séquençage ont offert aux scientifiques de nouveaux outils pour surveiller et évaluer l’état biologique de la diversité au sein des écosystèmes aquatiques. Les approches basées sur l’ADN environnemental (ADNe) permettent d’étudier cette diversité biologique sous-jacente [6]. Cette technique non invasive – née d’un besoin urgent de détecter et d’évaluer l’impact des espèces aquatiques envahissantes – consiste à collecter des échantillons provenant d’un environnement en question (eau, sédiments, etc.) pour obtenir les empreintes génétiques des espèces présentes dans l’environnement étudié au cours des derniers jours ou des dernières semaines (7 à 21 jours selon les conditions environnementales [7]). 

 

Comment la collecte d’ADN est-elle possible ? 

 

Les organismes libèrent des quantités d’ADN (matériel génétique) dans leur environnement sous la forme de débris cellulaires (poils, peau, excréments, mucus, gamètes, etc.) qui sont transportés via des processus hydrologiques et atmosphériques. Si l’ADNe a été utilisé avec succès pour effectuer des suivis de la diversité microbienne, en particulier dans les écosystèmes aquatiques [8], sa capacité à fournir une évaluation approfondie de la diversité biologique et de la distribution spatiale de macro-organismes à large échelle tels que les poissons de récifs  – restait à être testée.

 

analyse ADN environnementale

Fig 1. Infographie qui montre le pas à pas et l’utilisation d’ADNe pour étudier la biodiversité. Auteurs: Paul Castagné et Garance Castino.

 

Une étude scientifique à large échelle sur la diversité des poissons de récifs

 

Un groupe de chercheurs internationaux a entrepris une étude à large échelle de la diversité des poissons de récifs sur une période de 2 ans et 3 mois à travers les océans Indien, Pacifique et Atlantique en utilisant des approches basées sur l’échantillonnage de l’ADNe et a comparé cette méthode à des suivis visuels réalisés par des plongeurs scientifiques pendant 13 ans, et compilés dans la base de données Reef Life survey. Dirigée par Laetitia Mathon et récemment publiée dans Proceedings of the Royal Society London B, cette étude a porté sur 226 échantillons d’eau environnementale collecté dans 100 sites sur cinq régions tropicales (Fig 2).

 

Fig 2. Carte avec les lieux d’échantillonnage : les points représentent les sites où les échantillons d’ADNe ont été prélevés, les couleurs représentent les régions. Source et propriété : Mathon et al (2022).

 

Parmi leurs résultats, l’équipe de chercheurs a constaté que, par rapport aux recensements sous-marins extraits des bases de données, l’approche de l’ADNe a détecté une diversité de poissons globalement supérieure de 16 %, dont 25 % de familles de poissons de récifs supplémentaires associées à des taxons pélagiques et crypto-benthiques (voir taxons de poissons). En revanche, les enquêtes visuelles ont mis en évidence plus d’espèces de poissons que l’ADNe dans 47 familles communes – ce que les chercheurs ont expliqué par des problèmes de séquençage et une détection incomplète dans l’environnement.

 

Conclusion… l’ADN peut-elle servir pour mesurer la diversité de poissons sur un récif ?

 

Bien que les approches fondées sur l’ADNe présentent encore des limitations, cette étude est un excellent exemple de l’importance et de la pertinence de combiner des suivis visuels en plongée sous-marine et d’affiner les outils moléculaires afin d’optimiser la surveillance et l’évaluation de la diversité biologique et la distribution spatiale des macro-organismes aquatiques et terrestres. Et aujourd’hui plus que jamais, alors que le changement climatique et les activités humaines locales continuent de menacer la biodiversité de notre planète.

 

Références bibliographiques :

Mathon L., Marques V., Mouillot D., Albouy C., Andrello M., Baletaud F., Borrero-Pérez G.H., Dejean T., Edgar G. J., Grondin J., Guerin P.E., Hocdé R., Juhel J.B., Kadarusman, Maire E., Mariani G., McLean M., Polanco F. A., Pouyaud L., Stuart-Smith R. D., Sugeha Hagi Y., Valentini A., Vigliola L., Vimono I. B., Pellissier L. and Manel S. (2022) Cross-ocean patterns and processes in fish biodiversity on coral reefs through the lens of eDNA metabarcoding. Proc. R. Soc. B.2892022016220220162 http://doi.org/10.1098/rspb.2022.0162

[1] Cowman PF, Bellwood DR. (2013) The historical biogeography of coral reef fishes: global patterns of origination and dispersal.J. Biogeogr.40, 209–224.

[2] Allgeier, J. E., Layman, C. A., Mumby, P. J., & Rosemond, A. D. (2014). Consistent nutrient storage and supply mediated by diverse fish communities in coral reef ecosystems. Global Change Biology, 20(8), 2459-2472.

[3] Burkepile, D. E., & Hay, M. E. (2008). Herbivore species richness and feeding complementarity affect community structure and function on a coral reef. Proc. Natl Acad. Sci, 105(42), 16201-16206.

[4] Siqueira AC, Morais RA, Bellwood DR, Cowman PF. (2021) Planktivores as trophic drivers of global coral reef fish diversity patterns. Proc. Natl Acad. Sci. USA118, e2019404118. (doi:10.1073/pnas.2019404118)

[5] Brandl SJ, Goatley CHR, Bellwood DR, Tornabene L. (2018) The hidden half : ecology and evolution of cryptobenthic fishes on coral reefs. Biol. Rev. 93,1846–1873. (doi:10.1111/brv.12423)

[6] Pawlowski, J., Bonin, A., Boyer, F., Cordier, T., & Taberlet, P. (2021). Environmental DNA for biomonitoring. Molecular ecology, 30(13), 2931–2936. https://doi.org/10.1111/mec.16023

[7] Dejean, T., Valentini, A., Duparc, A., Pellier-Cuit, S., Pompanon, F., Taberlet, P., and Miaud, C., (2011) Persistence of environmental DNA in freshwater ecosystems: PLoS ONE, v. 6, no. 8, e23398, doi:10.1371/journal.pone.0023398

[8] Harrison JB, Sunday JM, Rogers SM. (2019) Predicting the fate of eDNA in the environment and implications for studying biodiversity. Proc. R. Soc. B 286,1–9. (doi:10.1098/rspb.2019.1409)

 

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1 Commentaire(s)

  • L’article est très intéressant.
    Le séquençage de l’ADN est un bel outil d’étude mais l’observation “naturaliste” a été trop tôt reléguée sans avoir été menée à son terme (s’il en existe un ultime).

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