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Un bénéfice inattendu pour certains coraux au Pacifique de El Niño ?

Un bénéfice inattendu pour certains coraux au Pacifique de El Niño ?
Publié par Eloïse Thomine | Publié le 10 August 2023

Depuis les 30 dernières années, les vagues de chaleur océaniques (dites aussi “canicules marines”) sont de plus en plus fréquentes, intenses et longues, et il est très probable que cette tendance augmente avec le réchauffement climatique (Frölicher et al., 2018).

Mais, que sont les vagues de chaleur océanique ? Même si la définition précise de ces évènements peut varier d’une étude à l’autre, les scientifiques s’accordent à dire qu’il s’agit d’épisodes de températures supérieures à la normale historique (d’au moins 30 ans) dans les eaux de surface de l’océan, qui durent au moins cinq jours, et jusqu’à plusieurs mois (Hobday et al., 2016; Viglione, 2021). Elles peuvent se présenter dû à des dynamiques océaniques ou atmosphériques complexes, comme lors du phénomène de El Niño (Claar et al., 2018).

El Niño désigne un événement climatique naturel consistant à une réversion des courants océaniques dans le Pacifique. Ceci résulte en une augmentation des températures le long de la côte Sud-Américaine et une modification des températures sur toute la planète. Cet événement se produit environ tous les 2 à 7 ans, bien que des événements plus extrêmes aient été signalés au cours des dernières décennies (Cai et al., 2014). Les conséquences d’El Niño sont très vastes, que ce soit au niveau socio-économique notamment en affectant lourdement l’activité de pêche, ou au niveau environnemental, avec des effets divers sur les écosystèmes marins et terrestres. Dans les zones de récifs coralliens, ces épisodes entraînent souvent des blanchissements successifs et de masse (Claar et al., 2018).

Le chercheur Dr. Michael Fox de l’Université KAUST et une équipe internationale de chercheurs ont voulu étudier les répercussions des vagues de chaleur sur les procès océaniques locaux, et comment cela impacte les coraux. Pour ce faire, ils se sont intéressés aux coraux de l’Atoll Palmyra dans l’Océan Pacifique, avant et après le phénomène El Niño en 2015-2016. Leur recherche a montré des résultats inattendus : les changements océanographiques pendant El Niño ont permis aux coraux de l’atoll d’avoir accès à des sources supplémentaires de nutrition pendant les vagues de chaleur, dévoilant un nouveau mécanisme qui fonctionne en faveur des coraux (Fox et al., 2023). Comment cela fonctionne ? On vous explique ici quelques résultats de leur recherche.

L’aspect océanographique : que se passe-t-il avec El Nino ?

Pour leur étude, l’équipe de Dr. Fox a décrit les répercussions océaniques locales de El Niño dans l’Atoll Palmyre (Pacifique Centrale). Ils ont observé la dynamique océanographique avec 2 variables distinctes : la vitesse du contre-courant nord équatorial (*voir lexique en bas) et la profondeur de la couche de mélange océanique (*voir lexique en bas).

Ils ont observé des anomalies de ces deux paramètres pendant le El Niño de 2015 (zone grisée sur la Fig. 1), ce qui témoignait une remontée à la surface d’eau profondes, froides et riches en nutriments, phénomène connu en anglais sous le nom de “upwelling”. En effet, la profondeur de la couche de mélange n’a jamais été aussi faible (environ 15 m de profondeur alors que la profondeur moyenne est de 90 m, Fig 1 supérieure) et la vitesse du courant atteint 0,6 m/s alors qu’elle est de 0,3m/s en moyenne le reste du temps (Fig 1, inférieure). 

Premier constat : dans l’Atoll Palmyra, pendant le phénomène d’El Nino de 2015, une remontée locale des eaux fraîches et riches en nutriments s’est présentée (Fox et al., 2023)

Ceci n’était pas le cas dans toutes les îles de la région : dans d’autres localités, le phénomène d’upwelling n’était pas enregistré (Fig. 2), et la mortalité des coraux dans ces zones-là était supérieure à celle de Palmyre, ce qui montre la complexité du phénomène climatique (Fox et al. 2023).

graphique

Figure 1 : Graphique montrant l’amincissement de la couche de surface (en haut) à l’augmentation de la vitesse de la contre-courant nord Équatorial (en bas) lors du El Niño de 2015. Depth: profondeur. Mixed layer depth: profondeur de la couche de mélange océanique; Zonal current velocity : Vitesse des courants de la zone. Pris et adapté de Fox et al., 2023.

figure

Figure 2 : Graphique montrant la variation régionale de la profondeur de la couche de mélange océanique (Mixed layer depth anomaly) dans le Pacifique entre août et novembre de 2015, comparé à la période 1980-2020. Couleurs : vers le marron, la couche de mélange est plus profonde que d’habitude (deeper than usual), et vers le bleu, la couche est moins profonde que d’habitude (shallower than usual). Pris et adapté de Fox et al., 2023.

 

Comment répondent les coraux ?

Ici, les scientifiques voulaient savoir comment la source d’alimentation des coraux variait avec l’upwelling dans l’Atoll Palmyre.

Ils ont donc étudié les tendances d’alimentation d’une espèce de corail dur (Pocillopora meandrina) avant et après El Nino. Cette espèce de corail, comme la plupart des coraux tropicaux, est mixotrophe, c’est-à-dire qu’elle a 2 sources d’alimentation. A la fois, les coraux reçoivent des nutriments grâce à la photosynthèse de leur microalgue (autotrophie), et en même temps ils peuvent chasser des aliments dans leur environnement (hétérotrophie). Le choix de la source alimentaire peut varier en fonction de la disponibilité de ressources dans le milieu. 

Dans l’étude, les chercheurs ont observé un passage à l’hétérotrophie des coraux lors de El Niño en 2015 (Fig. 3). Ce passage ne peut pas être expliqué par la perte de symbiose avec la microalgue, car aucun blanchissement de corail n’a été observé. Ce changement alimentaire s’explique donc bien par une augmentation de la présence de nutriments disponibles pour le corail pendant El Niño, dû à la remontée des eaux froides. 

Deuxième résultat : les eaux de profondeurs charriées à la surface par l’upwelling vont ainsi apporter aux coraux une nouvelle source d’alimentation, complémentaire à celle derivé de l’autotrophie des microalgues. Ce phénomène va favoriser les coraux qui ont une stratégie trophique flexible et peuvent transitionner vers l’hétérotrophie, ce qui est un apport nutritionnel supplémentaire pour les coraux.

 

figure 2

Figure 3 : Graphique montrant les passages à l’hétérotrophie lors des El Niño de 2012, 2014 et 2015. Heterotrophy: hétérotrophie ; Mixotrophy : mixotrophie ; Autotrophy : autotrophie (voir texte pour plus d’explications). Pris et adapté de Fox et al., 2023.

 

En plus de cela, l’upwelling est associé à des remontées brèves et intenses d’eaux froides, appelés en anglais « cold pulses » (pulses froides, en français). Ceux-ci auraient un effet de refroidissement des eaux en dessous de 15 m de profondeur, qui devient de plus en plus important avec la profondeur. Même si la compréhension de l’impact de ces « cold pulses » sur le refroidissement des coraux reste limité, l’hypothèse que l’upwelling offre aux coraux un refuge thermique lors de El Niño n’est pas écartée.

 

En conclusion, la recherche suggère que ces deux mécanismes locaux décrits à l’atoll Palmyra pendant El Niño, l’apport de nutriments et le refuge thermique, peuvent faire que les coraux subissent un blanchissement limité et résistent mieux aux conditions extrêmes auxquelles ils sont exposés, face au changement climatique. Néanmoins, le phénomène de El Niño reste un événement très complexe d’un point de vue global, avec des conséquences pour les coraux très importants en termes de stress thermique. Mieux comprendre leurs effets à l’échelle locale ou régionale pour mieux prédire la vulnérabilité des récifs face au changement climatique reste fondamentale.

 

Vocabulaire : 

Le contre-courant nord équatorial : courant qui circule d’Ouest en Est à environ 3-10°N dans les bassins Atlantique, océan Indien et Pacifique. 

La couche de mélange océanique : la couche la plus superficielle de l’océan dans laquelle l’eau est homogène en salinité, température, et densité. C’est elle qui interagit directement avec l’atmosphère.

 

Littérature cité: 

Cai W, Borlace S, Lengaigne M et al.(2014) Increasing frequency of extreme El Niño events due to greenhouse warming. Nature Clim Change 4, 111–116. https://doi.org/10.1038/nclimate2100
Claar DC, Szostek L, McDevitt-Irwin JM, Schanze JJ, Baum JK (2018) Global patterns and impacts of El Niño events on coral reefs: A meta-analysis. PLoS ONE 13(2): e0190957. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0190957
Fox MD, Guillaume-Castel R, Edwards CB, Glanz J, Gove JM, Green JAM, Juhlin E, Smith JE, Williams GJ. (2023) Ocean currents magnify upwelling and deliver nutritional subsidies to reef-building corals during El Niño heatwaves. Sci Adv. 9(24):eadd5032. doi: 10.1126/sciadv.add5032. Epub 2023 Jun 14. PMID: 37315146; PMCID: PMC10266739.
Frölicher TL, Fischer EM & Gruber N (2018) Marine heatwaves under global warming. Nature 560, 360–364. https://doi.org/10.1038/s41586-018-0383-9
Hobday AJ, Alexander LV, Perkins SE, Smale DA, Straub SC, et al. (2016). A hierarchical approach to defining marine heatwaves. Prog. Oceanogr. 141:227–38 https://doi.org/10.1016/j.pocean.2015.12.014 
Viglione, G. (2021, Mai 5). Fevers are plaguing the oceans — and climate change is making them worse. Nature, 593, 26-28. doi: https://doi.org/10.1038/d41586-021-01142-4

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